Le cinéma français est-il mort ?


Le cinéma français est mort, c'est la droite qui le dit... Provocation mise à part, essayons de voir ce qui se passe réellement dans le cinéma français aujourd'hui.
1) Est-il au bord de l'extinction, détruit par les séries télévisées, écrasé par un bulldozer hollywoodien ?
2) Est-il en phase de vieillissement servi par des réalisateurs auto-dévorants ?
3) A-t-il sombré dans la médiocrité parce que la production ou la qualité des interprètes a baissé ?

Et bien vérifions.




Fréquentation des salles : Très bon rendement.

Depuis 50 ans, les salles françaises réalisent entre 150 et 220 millions d'entrées. C'est comme si tous les français allaient entre 2 et 3 fois par an au cinéma, voire plus. Comme pour toutes les entreprises, les chiffres restent assez constants dans cette gamme, avec des hauts et des bas. Par conséquent le taux de fréquentation des salles de cinéma ne s'est pas estompé.
Les chiffres sont facilement consultable sur le site du Centre national du cinéma et de l’image animée.
En 2019 juste avant la période covid qui a obligé les cinéma à fermer leurs salles, la fréquentation ce celles-ci a augmenté de 6,0 % à 213,3 millions, le deuxième niveau le plus élevé depuis 1966 (234,2 millions), après 217,2 millions en 2011. Pour la 6ème année consécutive, le nombre d'entrées est resté supérieur à 200 millions, et ce malgré la concurrence des sites de vidéos à la demande type Netflix, Amazon ou Disney+.
Les films français ont une part de marché comprise entre 33 % et 45 % selon les années. La fourche n'a pas beaucoup bougé en 50 ans non plus. Le marché américain se situe entre 40 et 50 %. Les autres nationalités représentent environ 10%.

On ne peut donc pas dire qu'on assiste à la chute du cinéma français. Le chiffre d'affaires du cinéma français hors covid s'élève à environ 1 400 000 000€. Cependant ce nombre est biaisé car les films ont apporté beaucoup plus au pays que cela.




D'où viennent les recettes de cinéma ?

Les cinémas ne représentent plus que pour +/- 30 à 35 % des recettes de production, le reste se répartit entre les droits TV, la VOD, les plateformes de streaming, et une belle résistance des ventes de DVD et Blu-ray qui représentent toujours environ 400M€. Ces ventes baissent néanmoins régulièrement chaque année (-10% en 2019).
Par conséquent, la salle de cinéma d'aujourd'hui est une belle salle d'exposition de films de luxe, un bel environnement, mais ce n'est plus une partie importante de ses revenus.
On peut donc conclure que le cinéma dans son ensemble rapporte un chiffre d'affaires de plus de 3 milliards d'euros par an en France.




Les films français sont-ils plus convaincants ?

Non. Nous devons reconnaître le déclin de la visibilité mondiale. Par rapport aux années 70, moins de films français sont projetés. Depuis 50 ans l'influence du cinéma français s'est progressivement estompée.
"Chuter" est un grand (gros) mot quand il s'agit de l'évolution du cinéma français. Ce n'est pas seulement le cinéma lui-même qui a changé, mais la hauteur des attentes du grand public partout (pas seulement en France).

Historiquement, les plus grands succès des années 40–50 ont été Renoir, Baker, Clouzot, Bresson, etc. Leurs films ont eu un tel succès qu'il était facile pour les producteurs de financer leurs films. Ils sont en effet bien utilisés, et le public appréçiait beaucoup leur travail, formant un cercle vertueux.

En 1960 est arrivée la nouvelle vague, grande pionnière dans le domaine (important à retenir) à travers le monde, créant de nouvelles vagues partout :
-La nouvelle vague japonaise s'appelait Noberu Bagu en hommage.
-En 1968 le New Hollywood in America avec les jeunes Scorsese, De Palma, Coppola, Spielberg, Lucas...
-La stagnation soviétique a commencé symboliquement avec Tarkovsky en 1961, est passée par Khalatozov, Guerman, Paradjanov, Muratova...
La Nouvelle Vague est une carte de visite artistique, parfaitement empreinte de son époque : Un cinéma qui a révolutionné l'art et la politique (l'un des premiers symptômes de mai 1968).

Aujourd'hui force est de constater que face au cinéma français tel que Godard, Truffaut, Melville, Rohmer, Rivette, Chabrol, Varda, Piara, Resnais, Becker, Clouzot, Bresson, Renoir, on se retrouve aujourd'hui sans vrai réalisateur aussi renommé en France (encore que, attendons d'avoir une perspective historique plus importante).
Comme je l'ai mentionné, le grand public est différent et ce n'est pas une insulte de voir une déculturation (cela a commencé par une plus grande industrialisation des arts quitte à remettre en question le sentiment d'appartenance de certains films à l'art). Par conséquent, les producteurs et les opérateurs favorisent la tendance. Malheureusement, l'heure est à la comédie familiale. Le genre en lui-même n'est pas un problème, c'est la façon dont il est traité. Qu'est-ce qui ressort dans l'art de "Bienvenue chez les ch'tis" ou "Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu" ? Ces 2 films sont les symptômes de la pathologie du cinéma français : 2 films qui ont battu les records de fréquentation en salle en 2008 et 2014 (à l'exception d'Intouchables).
Les attentes de rentabilité (car oui nous sommes à l'ère des films rentables) sont placées dans les stéréotypes des films qui sont maintenant produits en masse en recyclant le même matériau. C'est ce qui a chuté.

Et je ne suis pas content que ce genre de cinéma industriel gâchent la vision d'autres artistes français émergents qui ont eu peu de publicité, à part "Grave" de Julia Ducournau. Cela se ressent dans les salles. Pourtant les cinéastes français d'aujourd'hui ne sont pas mauvais, loin de là. Les films d'auteurs réalisés en France ne sont pas malades. De nombreux noms ressortent : Bruno Dumont, Claire Denis, Arnaud Desplechin, Michel Gondry, François Ozon, Gaspar Noé, et les nouveaux cinéastes français plus jeunes : Quentin Dupieux, Céline Sciamma, Julia Ducournau, Sébastien Marnier, Justine Triet, Antonin Peretjatko, Arthur Harari, Cédric Jimenez, Serge Bozon, Jean-Christophe Meurisse, Jérôme Reybaud... La liste est non-exhaustive bien sûr, mais je citerai en particulier 2 noms éminents : Bertrand Mandico, un artiste génial dont l'univers n'a jamais été vu dans le paysage français, entre Cronenberg, Godard, Argento et De Palma (mention spéciale à son long métrage "Les garçons sauvages"). Et Philippe Lacheau, dont le résultat se démarque à la fois de toutes les comédies dans lesquelles il a lui-même joué, et se démarque aussi du reste des comédies française actuelles.




Mais alors le cinéma français d'aujourd'hui n'est-il pas aussi bon qu'il l'était dans les années 70 ? El famoso c'était mieux avant ?

Cette année nous perdons l'un des plus grands réalisateurs français de tous les temps : Jean-Luc Godard. Qu'on aime ou qu'on déteste, il est impossible de nier l'apport de Godard dans le cinéma français, et que son art a inspiré bon nombre de réalisateurs de cette génération, y compris à Hollywood (Quentin Tarantino).
Mais cela signifie-t-il que les films des années 70 de Godard & cie sont des indépassables qui surclassent tous les films français parus au 21ème siècle ? Et bien il se trouve que nous avons la chance de pouvoir regarder de vieux films sur Netflix, en streaming, en téléchargement, ou à la télévision. Si on sort du dossier émotionnel, mis à part le subtil parfum de nostalgie, non ce n'était pas mieux avant.

Il y a évidemment des chefs-d'oeuvre comme Le cercle rouge, L'armée des ombres, Le Samouraï, Le Quai des brumes, Le Vieux Fusil, Quai des Orfèvres, A bout de souffle, Quatre nuits d'un rêveur, Le Procès, qui sont encore aujourd'hui intemporels et indémodables.
Mais la grande majorité de ces films ont vieillis : Les effets spéciaux, les cascades, les dialogues, la musique, les plans... Les films d'aujourd'hui, français ou non, ont clairement une meilleure maîtrise des techniques visuelles, sonores et graphiques, ce qui est normal. Le cinéma est un art jeune, et il a encore de la place pour s'améliorer.




Les acteurs sont moins bons ?

Il y a d'une part la génération 1930-1960 : Gabin, Blier, Bardot, Ventura, Romy Schneider, Noiret, Delon, Michèle Morgan, Deneuve, Bourvil, Bardot, Gérard Philippe, Jeanne Moreau, Belmondo, Rochefort, Marielle, Danielle Darieux, Paul Meurisse...
D'autre part la génération post années 70-80 : Sophie Marceau, Lambert Wilson, Cotillard, Dujardin, Gilles Lelouch, Clavier, Taglioni, Huppert, Seydoux, Cornillac et bien d'autres.
À mon avis c'est problématique. Est-ce leur talent ? Je ne pense pas. Mais d'un autre côté, ils ne sont pas aussi bons que leurs aînés. Nous n'avons plus de légendes, de grandes stars, d'acteurs populaires. À mon avis il y a plusieurs raisons que j'élaborerai dans les points suivants.




Le cinéma français n'est pas mort ou empire, il change.

4 choses ont changé de manière significative à la suite des changements dans le circuit financier décrits ci-dessus.
-L'argent : Le cinéma était indépendant de la télévision jusque dans les années 80. Aujourd'hui il en est le vassal économiquement. Donc un changement important est que la télévision veut des résultats, en prenant moins de risques sur le plan artistique. Aujourd'hui en pleine mutation, la VOD, le streaming, le téléchargement, les plateformes comme Netflix ou Amazon, sont de belles opportunités pour se débarrasser du carcan de la télé et régénérer la créativité. Netflix, Amazon et d'autres s'en fichent de la publicité. Bien sûr il ne faut pas être naïf, ils restent des requins avec un carnet de commande et veulent des cibles d'observation bien précises.

-L'écriture : Avant les années 80, les cinémas dits "à papa" étaient des cinémas où scénaristes et réalisateurs collaboraient la plupart du temps en bons termes. La Nouvelle Vague bouleverse l'écriture française et pas pour le mieux. Les réalisateurs se voient désormais comme des scénaristes. Heureusement cette tendance s'est inversée, notamment grâce aux séries dont les scénaristes sont les maîtres, et aujourd'hui on reparle de scripts. Malheureusement les réalisateurs français, sont très, peut-être trop à ce niveau, seuls responsables aux commandes à ce niveau.

-Les acteurs : Je parle des "bancables", sont très conscients qu'ils ont un film sur les épaules et que le film ne peut se faire sans eux. Alors ils sont de plus en plus gourmands financièrement, et ils s'impliquent de plus en plus dans le film même pendant la période d'écriture, et ce n'est pas là qu'ils sont les meilleurs. Ils veulent souvent des services sur mesure et sont parfois disposés à prendre des risques moindres.

-Les producteurs : La tâche des producteurs est beaucoup plus complexe que par le passé. A l'époque de Jean Gabin, un film c'était un producteur, un banquier ou 2, une avance sur recette de la part d’un groupe cinéma et c'est tout. Les productions de l'époque étaient des casse-cou qui avaient le pouvoir de dire "oui je fais ce film", et le film se faisait. Aujourd'hui ces productions ont disparu. Personne (à quelques exceptions près) ne peut dire que "oui on le fait". Les sources de financement se sont diversifiées pour diminuer les risques. Entre les aides régionales, les aides européennes, les fonds privés, les tax breaks, les avances sur recettes, le CNC, la télévision, les plateforme de visionnage en ligne... Un vrai parcours du combattant. Il en va de même pour le nombre de décideurs. Les oeuvres d'aujourd'hui sont 10 fois plus complexes que leurs prédécesseurs. De ce fait, ils ont de moins en moins de temps à consacrer à l'art. Ils sont devenus les roues motrices et ne sont plus les vrais leaders. Sans oublier que plus vous avez d'investisseurs, plus vous avez de comptes à rendre... Faire en sorte que 5 ou 6 personnes s'entendent dans cet environnement est un vrai défi.
Je passerai outre ces mandataires vautours et parasites généraux qui ne font qu'alourdir le coût du film sans apporter de réelle valeur ajoutée, quoi qu'ils en disent.

Mention spéciale toutefois à la société Sbs Productions. En produisant des films à succès sans intérêt artistique, il a pu gagner une certaine stabilité afin de produire des réalisateurs comme Brian DePalma (Passion), Paul Verhoeven (Elle, Sainte Vierge, Benedetta), Roman Polanski (Carnage) et David Cronenberg (Maps To The Stars). Pour diverses raisons (Polanski pour ses casseroles, Verhoeven pour sa subversivité), ces cinéastes ont été la plupart du temps ignorés des producteurs. Sbs Productions leur a donné des moyens et nous pouvons les en féliciter, et prier pour que cela continue.




CONCLUSION :

J'avoue qu'en écrivant cet article à 23 ans, je n'ai pas vécu la grande période du cinéma français. Il est donc tout à fait compréhensible que certains puissent se sentir nostalgiques. Pourtant, rien n'a plus contribué à l'effondrement de la culture française que ceux qui l'ont financée et exploitée. Malheureusement il est difficile de changer les habitudes du grand public de nos jours. La réalité est que maintenant le cinéma (pas seulement le cinéma français) fait avant tout du marketing et détermine ce que le spectaeur lambda veut voir. Et s'il s'en fout d'une chose, c'est bien des fans nostalgiques qui ne sont qu'une part infime du marché.
Le résultat est là : La comédie familiale a un très grand succès même si ça me fait chier de l’admettre, les gens vont voir ces films et en très grand nombre. Même les films tellement critiqués et trainés dans la boue (cf le dernier Astérix de Guillaume Canet) finissent par faire des millions d'entrées en salles.

Alors il y a quelque chose qui ne va pas, mais chez qui ? Les cinéastes ? Les spectateurs ? J’ai dressé en quelques paragraphes un état des lieux, on peut certainement parler pendant des heures, je ne prétends pas être exhaustif. Mais au final, le cinéma français a complètement changé. Est-il mort ? Bien sûr que non. Mieux ? Non plus. Moins bon ? Je ne pense pas. Je dirai que le cinéma français change, qu'il est en pleine période de transition comme la mue d'un serpent, pour le meilleur comme pour le pire.

Le meilleur : Cela ouvre de grandes perspectives d'avenir et d'espoir pour un cinéma français qui synthétise son passé glorieux, ses erreurs et ses aspirations. Souhaitons-lui de revenir sur la bonne voie et de briller à nouveau sur la scène internationale.

Le pire : Pourquoi les cinéastes se casseraient la tête avec un scénario bien ficelé, des dialogues qui prennent aux tripes, lorsque le spectateur moyen regarde son téléphone pendant la séance, ne comprend pas un scénario basique et pose des questions qui te font lever les sourcils au mieux, et désespérer de l'humanité au pire ? C'est la Société du spectacle. Les scénarios intéressants et profonds, les mise en scène travaillés, au mieux ça intéresse encore les cinéphiles, mais les gens d'aujourd'hui veulent du pan-pan boum-boum piou-piou (il suffit de regarder les films les plus rentables de ces dernières années).
C'est tout le problème de devenir "grand public". Le grand public n'est pas nécessairement bête, mais le grand public cherche avant tout du divertissement direct et s'en tape complètement de l'art, des émotions, des réflexions sur l'Homme ou la société que tu peux avoir dans un film. Ils veulent rire un bon coup, des gros flingues, une pseudo-intrigue histoire de, et roule ma poule. Se "vider la tête" à défaut de la remplir...
Tous les films à succès sont en effet voués à se plier aux standards du grand public. Je vois des tonnes de plaintes des amoureux du cinéma (et pas nécessairement des réac de droite), se plaignant que le cinéma français a perdu de sa superbe, qu'il est devenu "commercial", qu'il produit que des "comédies à la con". C'est effectivement à dessein. Les industries savent que ça rapportera de toute façon toujours une masse de thune, donc pourquoi s'arrêteraient-ils ? C'est regrettable mais le cinéma s'adapte au public, qui change au fur et à mesure. Le public a fait son choix. Ce qui fonctionne n'est pas toujours ce qui est réellement de qualité. Il suffit de voir le succès de Marvel ou de la téléréalité...

Donc si vous n'êtes pas un réac et que voulez vraiment vous réconcilier avec le cinéma français, le vrai, voici une liste non exhaustive de bons et très bons films français sorti en salles sur les 5 dernières années :
2018 - Climax, Une prière avant l'aube, Le monde est à moi, Les Confins du monde, Les Garçons sauvages, Le Grand Bain, En Guerre, Un Couteau dans le coeur, Le livre d’image, Mademoizelle de Joncquières.
2019 - Le Chant du loup, J'ai perdu mon corps, J'accuse, Jeanne, Le Portrait de la jeune fille en feu, Grâce à Dieu, Synonymes, Le Daim, Zombi Child, Au nom de la terre, L'Heure de la sortie, Perdrix.
2020 - Adolescentes, Lux Aeterna, Le sel des larmes, Les choses qu’on dit les choses qu’on fait, Enorme, Antoinette dans les Cévennes, Tout simplement noir, L’extraordinaire voyage de marona.
2021 - Teddy, Médecin De nuit, Eiffel, Barbaque, The deep house, Illusions perdues, Sentinelle, Benedetta, Bac nord, The father, Titane, France, Le sommet des dieux.
2022 - Kompromat, La nuit du 12, As bestas, Incroyable mais vrai, Goliath, A la folie, Frère et soeur, Maigret, Novembre, Bruno Reidal : Confession d’un meurtrier, Vaincre ou mourir, Pacifiction.


11 février 2023




Commentaires