La lutte des classes a-t-elle encore un sens en 2023 ?


Cet article s'inscrit dans la continuité du précédent.


1) Qu'est-ce que la lutte des classes ?

En général quand on parle de classe sociale, on a toujours Marx en tête. Qu'est-ce que la classe sociale ? Selon Marx (et Engels qui est souvent oublié), la bonne façon de définir les classes sociales est d'utiliser les critères d'intérêts différents dans les rapports de production. Ce type de définition a un pouvoir explicatif bien supérieur à toutes les autres définitions de la dynamique du capitalisme, d'où sa popularité, si bien qu'aujourd'hui encore Marx est toujours dans nos têtes. Au XIXe siècle, Marx et Engels définissaient deux classes sociales : La bourgeoisie et le prolétariat.
-La bourgeoisie se compose de ceux qui ont suffisamment de capital pour acheter la force de travail des autres et en extraire la plus-value. Ils possèdent les moyens de production.
-Le prolétariat est composé de ceux qui vendent leur force de travail à la bourgeoisie. Cette simple définition explique avec une grande justesse la dynamique du capitalisme au milieu du XIXe siècle.

Pour avoir la lutte des classes, Marx a stipulé une condition : Il faut qu'il y ait conscience de classe, c'est-à-dire que les individus aient leur propre classe en eux et pour eux. Les classes en elles-mêmes sont celles qui détiennent ou non les moyens de production, objectivement prolétariat ou bourgeoisie. Sa propre classe est à laquelle on s'identifie, la classe à laquelle on veut appartenir.




2) L'incohérence du modèle marxiste

La réalité de la lutte des classes semble avoir disparu : Il n'y a plus aujourd'hui de clivages sociaux majeurs ni d'animosités entre les classes (sauf pour certaines minorités quasi inexistantes). Mais qu'en est-il du concept de lutte des classes ? Cela a-t-il encore un sens à notre époque ? À mon avis ce concept n'en a plus. Bien sûr il y a toujours des inégalités sociales, mais elles sont bien moins importantes qu'elles ne l'étaient lorsque le concept marxiste de lutte des classes est né au XIXe siècle.
A cette époque, les différences entre les grands industriels et les ouvriers étaient si grandes qu'on pouvait parler de la classe dirigeante et de la classe exploitée, puis de la lutte des classes contre les-dites différences. Mais aujourd'hui, les différences de classe en France se sont réduites, et on peut même douter de la théorie du modèle marxiste. Nous pensons en France que les riches deviennent de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. C’est du pur Marx dans l’esprit mais pas dans le texte. L’évolution de la société occidentale avec la création d’une classe moyenne est en complet désaccord avec Marx. On peut constater qu’une société moderne produit des biens et des services en grande quantité, et a donc impérativement besoin de clients en grand nombre. Cela ne peut se faire qu’avec une classe moyenne importante.
Les définitions marxiste de la bourgeoisie et du prolétariat sont quelque peu problématiques aussi. Par exemple les médecins, les avocats ou les cadres supérieurs, ne possèdent pas les moyens de production, mais s'identifient à la bourgeoisie parce qu'ils ont des problématiques bourgeoises et une culture bourgeoise. En revanche, les commerçants et artisans possèdent les moyens de production, mais sont plus proches des prolétaires.

Les modes de vie ont fusionné et les deux classes sociales décrites par Marx n'existent plus. Les ouvriers d'aujourd'hui n'ont plus rien à voir avec les ouvriers du XIXe siècle : Ils travaillent moins et dans de meilleures conditions, prennent leur retraite plus tôt, ont des congés payés et surtout des salaires plus élevés. D'autre part, la bourgeoisie au sens marxiste est devenu obsolète. Si on peut encore l'appeler bourgeoisie, elle est moins à la tête des grandes industries, elle est beaucoup plus nombreuse, n'est plus rentière, a un emploi, etc.
Il semble donc anachronique de parler de lutte des classes en 2023, le concept n'a plus aucun sens dans notre société.
Cependant, on pourrait peut-être parler de luttes sociales. En fait, les enjeux des luttes d'aujourd'hui sont davantage ethniques, sociaux et culturels que les enjeux matérialistes qui appartenaient à l'ère passée de la lutte des classes.
Ainsi, le concept de lutte des classes n'a plus aucun sens, mais peut-être que la lutte sociale centrée sur les questions post-matérialistes est le nouveau sujet de la lutte contemporaine.

Et s'il est vrai que Marx a dépeint avec talent la société de son époque, il fut un piètre prophète au moment d’imaginer la future société. Très mauvais même. Il n’était ni économiste (ou du moins pas très bon), ni psychologue. Et il a réussi à bloquer les luttes sociales sur un projet qui ne fonctionne pas. Le schéma est le suivant :
1. Révolution.
2. Applications d’une énième théorie dérivée du marxisme.
3. Echec.
4. Le nombre de morts vient encore alourdir le bilan pas glorieux du communisme.
5. La gauche déclare que ce n’était pas du "vrai" communisme et sort une doctrine n+1.
6. Retour à l'étape numéro 1.




3) Pourquoi la lutte des classes n'a aucune chance de voir le jour

-Parce que la classe moyenne et la classe populaire sourient en lisant des concepts comme celui-ci, se disant que certains s'accrochent à leurs vieilles idées du XIXe siècle.

-Parce que les classes moyennes et populaires ne croient plus à l'épouvantail de la gauche : "La Lutte des classes à votre service depuis 1848". C'est archaïque, ça n'a pas marché, c'est théorique, ça n'a pas suivi l'air du temps, et cela ne fait plus rêver personne (mis à part quelques révolutionnaires ou vengeurs de pacotille qui se font appeler "antifas").

-Parce que la gauche s'est montrée impuissante à rétablir plus de justice sociale comme elle le prétend, et qu'elle a échouée face au chômage et l'insécurité.

-Parce que les classes moyennes et populaires ont du bon sens et comprennent que le concept binaire de lutte de classe internationale est un bon concept sur le papier, mais qu'il ne fonctionne pas à l'épreuve du réel.

-Parce que les classes moyennes et populaires sont plus informées et mieux formées qu'avant, et comprennent que la richesse n'est pas un stock, pas un morceau de gâteau facile à partager, mais un flux. Elle comprend ce qui ne va pas avec la dialectique du "partage des richesses". Illustrons ça par un exemple :
Si vous vendez votre maison et que j'ai un million d'euros pour l'acheter, que nous sommes d'accord pour que j'achète votre maison à ce prix, alors la richesse totale est de 2 millions d'euros (valeur de la maison + l'argent de la vente). Mais si je ne veux plus qu'investir 500 000 euros dans votre maison, alors la richesse totale n'est plus que de 1,5 million d'euros. Où est donc cette richesse à partager ? La gauche a insisté pour vouloir faire croire que la maison est un stock de 2 millions d'euros alors que tout le monde ou presque comprend désormais que cela n’est pas vrai.

-Parce que les classes moyennes et populaires ne sont pas un groupe social homogène avec des intérêts communs. Non seulement ce n'est pas évident, mais il est facile de repérer des différences d'intérêts entre les deux groupes. Un ouvrier d’une usine de fabrication de chaussures n’a pas le même intérêt à la délocalisation qu’un comptable. Pour le premier, cela signifie une baisse de salaire et une perspective de chômage. Pour le second, cela signifie qu’il pourra s’acheter des chaussures moins chères.
Autre exemple : L’immigration (ironique lorsqu'on y pense). C’est la ligne rouge qui sépare la gauche de la droite aujourd’hui. Le Rassemblement National, la gauche et leurs électeurs n’ont toujours pas compris une chose simple malgré 10 ans d'échec : JAMAIS la gauche ne votera pour un projet anti-immigration, même adouci. Et JAMAIS la droite ne votera pour un projet pro-immigration, même marginal. Vous pouvez avoir un programme économique de gauche et des positions progressistes (PMA, mariage pour tous), la gauche ne vous suivra pas si vous êtes anti-immigration. Et réciproquement, vous pouvez avoir un programme social proche de Reconquête (droit du sang, expulsion des clandestins et des délinquants), la droite ne votera pas pour vous si vous dites que l'islam est compatible avec la République française. On le voit parfaitement dans les reports de voix des élections présidentielles de 2017 et 2022.
Ajoutez à cela les différences raciales et linguistiques, et vous avez là tous les ingrédients pour que les aliments de votre soupe se fassent pousser des membres par magie et s'enfuient à toute vitesse de votre casserole.

-Parce que la classe moyenne et la classe ouvrière sont les plus préoccupées par leur propre sécurité, et la gauche à travers une approche systématique de la lutte des classes soutient que l'insécurité est le résultat de l'inégalité des richesses. Donc elle s’est décrédibilisée aux yeux de ceux qui vivent au quotidien que ce n’est pas un problème social.

-Parce que les 100 dernières années ont montré que les capitalistes et les prolétaires peuvent s'enrichir simultanément en coopérant. Les soi-disant "prolétaires qui sont avides de petits gains dans la lutte quotidienne constante" est intenable. Le "communisme milliardaire" chinois est basé sur des capitalistes et des travailleurs qui s'enrichissent en symbiose, sans lutte. Bonne chance pour prouver qu'ils ont échoué. La lutte des classes ne doit pas être un jeu à somme nulle.






En voici les résultats : La gauche de la lutte des classes a perdu près de la moitié de son influence politique, passant de 40% au premier tour en 1974 à 21% en 2022, mais plutôt que de se remettre en question elle continue davantage vers des positions suicidaires. Pendant ce temps, le Rassemblement National est passé de moins de 1% au premier tour en 1974 à 23 % en 2022.
Tant que la gauche poursuivra cette dialectique du combat contre les riches comme raison première d'être, elle continuera de régresser, à coup sûr de perdre la confiance des classes moyennes et populaires.


27 janvier 2023




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