Pour en finir avec la chloroquine de Didier Raoult


Les voies du docteur Raoult sont impénétrables. Ce que je trouve fascinant chez cette personne, c'est sa capacité à embobiner les gens avec une telle facilité, qu'on dirait une manipulation mentale. La moindre de ses affirmations fait office de parole d'évangile quand bien même celle-ci est fausse, ou invérifiable. La plus célèbre de toutes, l'hydroxychloroquine qui guérit du coronavirus. Pourquoi ? Parce que c'est le professeur qui le dit, et donc il a forcément raison parce que... Parce que. Un grand chercheur se mesure à la qualité de ses recherches. Il faut en finir avec le mythe Raoult, qui est surtout un mandarin massivement auto-publié bénéficiant de son entregent politique et ayant parfaitement utilisé la dérive du financement de la recherche en France.
Non mes amis, un scientifique ne dit pas. Il prouve. Les arguments d’autorité je n’aime pas du tout. Des gens réputés dans leur domaine qui font de la merde et qui s’enferment dedans par égo on en voit tous les jours. Des épidémiologistes il y en a des milliers d’autres et ils ne vont pas tous dans le sens de Raoult (quand on regarde ses soutiens, des types comme Fouché ou Perronne, au secours).

Je trouve ça très malhonnête et dangereux d’avoir fait croire aux gens à un traitement miracle alors qu’on était en pleine panique générale et qu’on ne savait pas à quoi on avait affaire. Tout comme c’est très malhonnête d’avoir dit qu’on ne traitait pas les gens et qu’on les laissait mourir. J’ai moi même voulu croire en Raoult les premiers mois de la pandémie et je me sens floué. Il s’est décrédibilisé tout seul au moins une bonne dizaine de fois. Le complot des médias parisiens contre lui c’est rigolo 5 minutes, mais avec du recul ça ne tient pas la route une seconde et on constate que c’est le bonhomme qui s’est trompé plusieurs fois. Je ne vais pas faire la liste de toutes ses erreurs, d'autres s'en chargent déjà. Dans cet article nous allons nous concentrer uniquement sur son traitement "miracle" : L'hydroxychloroquine. Le fait est qu'il y a un écart entre les études dont le professeur Raoult parle et leur non-correspondance à ce que des études scientifiques rigoureuses sont censées ressembler. Il porte des conclusions sans que sa démarche ne permette de valider les résultats.
Restons raisonnables s'il vous plaît. Avant de dire que le professeur est muselé pour ses points de vue dissidents, il serait bon de rappeler que la vie des gens est en jeu. Il existe des protocoles scientifiques pour un traitement et ce n'est pas pour les chiens.





1) Pourquoi ne peut-on pas traiter les cas graves par l'hydroxychloroquine alors que la FDA l'a autorisé aux Etats-Unis ?

Parce qu'aucune étude ne montre la preuve de l'efficacité de l'hydroxychloroquine dans les cas non graves (une étude d'observation n'a pas valeur de preuve), et que pour les formes plus sévères la majorité des données scientifiques actuelles tend à montrer qu'elle est inefficace dans le meilleur des cas :


Au pire délétère :






2) Pourquoi l'HCQ a fait autant polémique pendant la pandémie ?

Parce que ce n'est pas un médicament spécifique aux virus en général. C'est un "antipaludéen" dont le principal effet est d'abaisser la fièvre. Il est donc un médicament "symptomatique" sans effet sur le virus lui-même. Il a toujours été déconseillé par le corps médical pour les courts séjours en zones à risques par le fait qu'il est le plus puissant dans cette classe et qu'en cas de résistance, la panoplie thérapeutique est très réduite. La chloroquine a une histoire assez longue en étant un médicament prometteur pour d'autres pathologies, mais qui n'a jamais donné de résultats pour les virus chez l'humain. Le cas le plus récent est Ebola. Capable de l'inactiver en vitro, la chloroquine a eu 0 impact chez les patients (ce qui est malheureusement assez fréquent pour les médicaments ; c'est l'une des raisons pour laquelle le développement d'un nouveau médicament coûte aussi cher).

Et surtout parce que le professeur Raoult n’a pas mené d'études scientifiques dignes de ce nom, ce qui a faussé toutes les cartes. Si le traitement marche, pourquoi avoir fait un travail aussi nul d’un point de vue scientifique et statistique ?
-Il sort une première étude rapide sur 20 patients qui semble montrer que la chloroquine peut marcher. Décortiquons cette étude ensemble :

  • L'échantillon est trop faible pour montrer des résultats significatifs.

  • Dans la branche de contrôle, plusieurs patients ont été exclus car admis à l'hôpital, morts ou ne s'ayant pas montré à la 2ème séance de contrôle (donc 5 faillites totales sur 26 dans la branche "traitement" non-reportées).

  • Les auteurs n’ont pas suivi leur propre protocole pour les tests PCR à la fois au début de l’essai et durant les points intermédiaires. Ils ont également refusé de partager les données de fin d’essai pour patients dû à des critères secondaires.

  • La sélection des patients n'a pas été randomisé ni fait en double aveugle (ou même aveugle). Raoult a déclaré qu'il ne croyait pas à la randomisation dans le contexte des maladies infectieuses. Et pourtant on sait des essais cliniques que l'effet placebo/nocebo peut être très statistiquement significatif et que les docteurs sont susceptibles de choisir les patients de sorte à ce que le traitement dont ils sont convaincus marche le mieux. Avec une taille d'étude minuscule, le hasard serait capable d'expliquer les résultats à lui tout seul.

  • Des conditions assez bizarres de ce qu'est "négatif pour le virus". Le nombre de cycles PCR pour lequel l'ARN doit rester indétectable est défini à 40 pour déclarer un patient comme "négatif pour le virus". 35 est parfois acceptable. Mais dans cette étude certains patients dans le groupe "traitement" avaient ce nombre de "indétectable" sous 23...

  • L'étude a été publié dans un journal géré par un des anciens du laboratoire de Raoult sans être revue. Surprenant vu la portée et l'importance de l'étude. Si les auteurs étaient convaincus de leurs résultats, une soumission à NEJM (New england journal of medicine) avec un preprint sur MedrXiv aurait été la voie la plus judicieuse.

Verdict : Tout le monde lui tombe dessus en disant qu’il devait refaire une étude plus complète. Et à juste raison.

-Il la refait sur 80 patients. C’est mieux. La rigueur scientifique voudrait 40 patients traités et 40 patients non traités, des groupes à peu près homogènes (je ne parle même pas de double aveugle et d’étude randomisée). On aurait pu penser qu’il estimait que d’un point de vue éthique il ne pouvait pas ne pas traiter 40 patients. Il aurait pu donc faire 70 patients traités et 10 patients non traités. Et bien non. Il traite les 80 patients dans un seul groupe, pas de groupe témoin, et dit : "J’ai gagné ils vont mieux !"...
Ok mais chez les patients non traités, il se passe quoi ? On ne sait pas.





3) Vous pourriez me rétorquer : "Oui mais c'était en Mars 2020 les choses ont changé !"

Ah bon ? Prenons les données les plus récentes. Voici ce qu'écrit la Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique fin octobre 2021. Je résume ses conclusions :
-L'HCQ n’est pas associée à une réduction de la mortalité, ni à une amélioration des symptômes.
-Elle pourrait augmenter la durée d’hospitalisation.
-Elle pourrait augmenter le risque de recours à la ventilation mécanique.
-Elle pourrait augmenter le risque de survenue d’effets indésirables liés au traitement.
-La chloroquine ou l’hydroxychloroquine utilisées avec l’azithromycine ne seraient pas cliniquement efficaces pour traiter le COVID-19, ni pour prévenir l’infection chez les sujets à risque.
-Absence de bénéfices démontrés à ce jour.

Pour les études :
-Plus de 300 études ont vu le jour depuis Mars 2020.
-Seulement 35 essais étaient randomisés et contrôlés (l'effet Raoult je suppose).
-Parmi ces essais randomisés, 9 seulement portent sur un effectif de plus de 100 patients.

Quelle est la préconisation de cette société de pharmacologie ? Il ne faut pas exposer inutilement les patients à un sur-risque d'évènements indésirables, notamment cardiaques, décrits avec ces médicaments chez les patients atteints de COVID-19.
Que doit-on en retenir ? L'analyse de toutes les études ne montre aucun résultat positif probant, et même des effets secondaires très dommageables pour les patients.

Et juste pour l'anecdote, le service du professeur Raoult est covidé. "Sept personnes ont été contaminées au sein de l'Institut marseillais. Une a été placée en réanimation. Pourtant, les réunions sans masques ont été maintenues..."
Et comme ce service ne possède pas de lits de réanimation (ce qui explique le nombre nul de morts traités par Raoult), les cas les plus graves ont été transférés dans un autre hôpital. Évidemment là-bas ils ont arrêté le traitement à la chloroquine (totalement inefficace) pour sauver ces patients...





Au final que penser de Raoult :
Raoult est certes un expert en virologie, mais en aucun cas en méthodologie scientifique. Et pourtant les deux sont indissociables dans une étude. Du reste une réputation mondiale ne veut rien dire. Le professeur Montagnier a un demi prix Nobel pour la découverte du virus HIV, et il a prôné l’homéopathie pour guérir du sida aujourd’hui... Les divas tireront toujours la moindre opportunité de faire les divas et de braquer sur eux les projecteurs. Personne ne peut prétendre que le professeur Raoult n’était pas un chercheur brillant dans les années 90 et un membre proéminent de la communauté scientifique dans les années 2000. L’IHU qu’il dirige de 2008 à 2017 lui doit tout. Et c’est là que ça devient tragique, comme beaucoup de grands chercheurs, il tombe dans le piège du mandarinat. Quand un chercheur atteint la cinquantaine, son rôle l’éloigne de plus en plus de la recherche. Il doit consacrer son temps à des tâches administratives, et surtout à préparer sa succession. C’est la promotion de la prochaine génération qui doit accéder au professorat qui sont ses principales occupations, ses seconds étant les thèses de la génération suivante, et ses propres recherches ont la priorité la plus basse. Un mandarin s’imagine qu’il est un génie unique, il ne veut pas laisser à d’autres les soins de finir son travail. Il ne va pas choisir le plus compétent de ses collègues, mais le plus servile. Il ne va pas soutenir ses thésards, mais s’approprier leurs recherches. C’est vraisemblablement ce qui se passe autour de Raoult, son nom est associé à tout ce que son institut produit, même si la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. L'important est que le nom de Raoult soit sur la publication histoire de, et roule ma poule. Et les meilleurs thésards sont parti en claquant la porte. La preuve flagrante c’est qu’il trône toujours dans son bureau de Directeur alors que depuis ses 65 ans, le chef de service est le professeur Philippe Parola (qui est souvent interviewé dans les couloirs de l’institut), qui en tant que professeur émerite devrait avoir au moins droit à un placard aménagé au bureau. Comme le professeur Montagnier avant lui, il peste contre l’administration française qui met d’office des "génies" comme lui à la retraite.

Et pour saisir le génie du personnage, il faut regarder le passif. Par le passé des publications sortant du laboratoire de Raoult ont révélés être des fabrications frauduleuses, des copiés collés des images de Western Blot, manipulation d'images, j'en passe et des meilleures. (1, 2, 3)

Il a par ailleurs été connu pour ses positions anti-scientifiques, qui ressemblent plus à de la provocation qu’autre chose. Comme par exemple le déni climatique, ou le créationnisme.

Il se torche le cul avec la méthodologie. Ses premières études publiées à la va-vite au début de la pandémie étaient de sacrés torchons. Un étudiant de master se ferait refuser un mémoire avec des études aussi bâclées. L'urgence sanitaire n'excuse rien du tout. On est en droit d'attendre des standards plus élevés pour un scientifique de son rang. Surtout si c'est pour les diffuser au grand public en pleine pandémie concernant un traitement potentiel qui aurait pu être administré à des millions de personnes.

Il a également une tendance farouche à ne pas admettre qu'il a tort. Pour un professeur avec son aura scientifique et sa portée médiatique c'est quand même très embêtant. Son traitement ne marche pas mieux qu'un placébo, il aurait pu s'en tenir à ça et essayer de trouver autre chose, mais non. Il s'acharne, décrédibilise ses confrères, insulte la méthode scientifique et se met le grand public dans la poche en pleine paranoïa générale, lorsque tout le monde attend une solution. C'est du foutage de gueule en terme de déontologie.

Un certain mépris des études scientifiques qui ne sont pas les siennes. Là aussi c'est embêtant. Notamment sur le port du masque. Quand il dit que leur efficacité n'a pas été prouvée dans le contrôle d'épidémie, c'est à croire qu'il n'a pas accès à des bibliothèques. Ça reste un sujet largement étudié sur plein d'autres maladies, dans des situations très diverses, avec des masques de tous types. S'il est prêt à donner un médicament dont l'efficacité n'est pas prouvée à des gens symptomatiques de la maladie, il devrait logiquement recommander le port du masque comme tous ses confrères. Une solution dont le rapport risques/bénéfices est quand même plus qu'intéressant, même si ça fait chier.

A titre personnel, je trouve qu'il aurait pu utiliser son image charismatique de scientifique loufoque à des fins bien plus louables en temps d'épidémie. S'il avait incité les gens à la prudence, sans pousser à la paranoïa, il aurait sans doute eu une meilleure portée que des clowns comme Philippot et Dupont-Aignan. Au lieu de ça on a l'équivalent d'un mec qui va dire que le port d'un casque en moto donne un faux sentiment de sécurité qui pousse à prendre plus de risques. Ce qui est vrai et prouvé scientifiquement. Mais le casque vous donne aussi des chances de survie incomparables en cas d'accident. Et c'est aussi vrai et prouvé scientifiquement.
A votre avis laquelle de ces affirmations le grand public va retenir ? Et en tant que chercheur que recommanderiez-vous aux motards ? Le jour où la plèbe découvrira qu'en fait la chloroquine est un dérivé de la quinine, une molécule qu'on trouve dans les boissons gazeuses de supermarché comme le Schweppes, on sera pas dans la merde...


30 mai 2022




Commentaires