Pourquoi l'alliance Nupes ne pouvait pas tenir.


On dit souvent que la France possède la droite la plus bête du monde. Mais du côté de la gauche, c'est au dessus de la bêtise. Alors que Nupes aurait pu être le premier parti d'opposition de France avec 131 sièges remportés, celle-ci refuse de former un groupe uni, et se fracture façon puzzle moins de 24h après les résultats du second tour.
Qu'est-ce qui peut expliquer ce revirement de situation ? En fait passé l'euphorie du 1er tour (qui donnait l'alliance Nupes en tête au nombre de voix), plusieurs facteurs indiquaient que l'alliance ne pouvait pas tenir dans le temps, mais pour être honnête avec vous, je ne pensais pas que le fissure arriverait aussi vite... Tentons d'expliquer quels sont ces "facteurs" :

  • La vraie politique n'est pas une question de stratégie, mais de persistance idéologique. Vous pouvez demandez aux électeurs d'être "rationnels" et de "voter utile" quand vous n'avez pas d'idées, pas de vision. Si c'est cela votre dernier argument pour "faire barrage", vous pouvez dire qu'il est aussi mauvais que des pois chiches secs. Quand on est un vrai démocrate, on soutient le pluralisme électoral. On ne transforme pas le débat politique en discours binaire et clivant. Je ne rejoindrai jamais un mouvement politique auquel je n'adhère pas idéologiquement. Cela n'aura jamais le moindre sens pour moi car ce que vous appelez la "raison" est si mal nommée qu'elle ne voile que la pudeur d'un individu lâche. Lâcheté dévorant toujours plus depuis plus de 20 ans.
    Année 2002, cela vous rafraîchi-t-il la mémoire ? Je ne supporte plus cette hypocrisie, elle s'offre le luxe de la parure de toutes les vertus. "Yakafocon" qu'ils disent tous. Et bien le "Yakafokon", beaucoup d'électeurs (et de politiques) de la gauche ne s'y retrouvent plus.

  • C'est ce qui nous amène à ce deuxième point.
    Mélenchon est un social-libéral avec des programmes proches de ceux écrits par le Parti Socialiste dans les années 70 et 80. Pour beaucoup ce programme ne répond tout simplement pas à ce qu'ils attendent.

    Côté Lutte Ouvrière et le Nouveau Parti Anticapitaliste (qui n'ont pas rejoint l'alliance Nupes), le plan de Mélenchon n'a pas vocation à sortir de l'État bourgeois, il n'est donc pas très différent de celui de Macron. Côté Macron les ouvriers sont insultés et méprisés, ce qui peut conduire à la révolution. Côté Mélenchon on leur donne de la chapelure, pour pouvoir les utiliser à bon escient plus longtemps.
    Du côté du Parti Communiste Français, nous avons une longue tradition de discipline de parti : Suivre les décisions du parti. Par exemple en 2022, le PCF souhaitait une candidature distincte de LFI pour signaler leur mécontentement face au plan de 2017, qui ne mettait pas suffisamment en évidence la sensibilité des classes populaires, ils ont donc voté pour le PCF pour protester, quitte à ce que la gauche perde l'élection.

    En ce qui concerne le Parti Socialiste, ils ne sont plus du côté gauche de l'équation. Chaque président du PS s'engage dans des promesses qu'il ne tient pas. Enfin du côté d'EELV, on s'écarte complètement de la norme : La plupart des associations écologistes considèrent que les plans du parti "écologiste" sont moins efficaces écologiquement que le LFI, mais malgré cela elles ne sont pas unies à Mélenchon. Mon interprétation est que les électeurs EELV sont des "écologistes du vélo électrique", c'est-à-dire des citadins aisés dont l'écologie signifie plus d'espaces verts, du quinoa bio et la puissance du vélo, mais surtout sans sacrifier leur niveau de vie. Lorsque LFI propose un programme de gauche, ils ont peur pour leurs avantages et leur patrimoine (ce qui prouvent qu'ils n'ont pas lu le programme de l'avenir en commun) et préfèrent donc rester chez EELV.
    L'écart des programmes rend donc compliqué une alliance solide et durable, qui aurait cependant dû être compensé par l'adhésion idéologique. Qui se ressemble s'assemble.
    Pourtant la courgette ne s'associe pas avec la carotte.

  • Avant même de parler de LFI, le Parti Socialiste qui a lui-même rassemblé une grande partie de la gauche, semble avoir deux ailes inconciliables : Les sociaux-démocrates de la mouvance Hollande mondialistes qui se sont vite mis à l'abri après la victoire de Macron à LREM. Et puis certaines personnes sont plus populaires, elles préféreront Mélenchon. Mais il y a d'autres déterminants qui compliquent encore l'adhésion, comme l'alignement ou non sur l'islamisme et le progressisme.
    Je m'explique : La gauche a perdu 400 000 électeurs en 5 ans alors que le nombre d'électeurs global a progressé.


    Regardez ce tableau, la gauche est passé de 10 millions de voix en 2017 à 9,6 millions. Et même quand tous les partis de gauche s'allient, on arrive à un timide 25% alors qu'ils étaient au pouvoir il y a 10 ans. Il y a de moins en moins de gauchistes en France et de plus en plus de bobos pros ou anti-mondialisation. Mélenchon a sauvé les meubles grâce au vote communautaire (la police tue, les français sont racistes et islamophobes, etc). La majorité des racailles et des musulmans ont voté Mélenchon. C'est ce vote communautaire qui progresse, pas le score brut de la gauche. Ce vote communautaire s'observe depuis François Hollande en 2012, la majorité des musulmans avait voté pour le candidat PS. Mais ça a été encore plus flagrant avec Mélenchon. Dans presque toutes les villes du 93, il aurait été élu dès le premier tour.
    Aujourd'hui une grande partie de la gauche est également prise dans le wokisme, c'est-à-dire dans l'unique lutte de la minorité contre la majorité. Ce sont des politiques qui s'entendent bien avec les électeurs antifascistes et musulmans ; et vont à fond dans le sens de penseurs comme Rokhaya Diallo : Pro-féministes, pro-LGBT, antiracistes, décoloniaux et toute la bienveillance de SJW. Ces gauchistes-là sont presque paradoxalement pour une mondialisation, ils veulent détruire les nations à commencer par la France elle-même au nom d'idéaux cosmopolites supérieurs. Toutefois certaines personnalités de gauche refusent le nivellement par le bas de la nation et sont eux souverainistes à l'instar de Michel Onfray. Même quand la droite est donnée au second tour dans les sondages, la bataille des égos a rendu la réconciliation impossible. Poutou, Hamon, Roussel, Jadot, Artaud, qui n'avaient aucune chance selon les sondages, auraient pu remporter une victoire "de gauche" en s'associant à LFI, mais ils ont refusé de le faire. Même si les deux camps peuvent être proches idéologiquement comme EELV et LFI, chacun a joué son rôle au détriment des idées.

    Autre problème reproché à Mélenchon, notamment de la part d'EELV (dont le plan vert est quasiment identique à celui de LFI), est sa fascination étrange pour les dictateurs : Castro, Chavez, Poutine, Xi Jinping... Ce n'est pas une distraction passagère, il exprime très ouvertement son soutien à Poutine depuis au moins une décennie, par rapport à ses différentes attaques comme l'annexion de la Crimée, la guerre en Syrie, jusqu’à l’attroupement des troupes militaires à la frontière ukrainienne.
    Certes il a tout doucement retourné sa veste depuis l'invasion de l'Ukraine (le contraire serait une tâche sur sa campagne présidentielle), mais au fil des années il a donné l'impression d'être nonchalamment une girouette, surpris qu'on lui reproche d'avoir dit ce qu'il a dit... Pour la Chine c'est subtil, mais clair. Il prétend soutenir la lutte des Hongkongais, affirmant que leurs revendications sont sociales (transport et prix des loyers) alors qu'ils se battent pour la liberté d'expression et contre la dictature du Parti Communiste Chinois. Il a également clarifié sa position sur Taïwan, défendant par avance une éventuelle invasion de la République populaire de Chine.

    Un autre frein, c'est l'agressivité des militants de LFI envers les autres partis (local d’EELV vandalisé), et ceux qui ont un avis différent (Fabien Roussel).


  • Une autre raison, est que même en lui prêtant les meilleures intentions du monde, Mélenchon n'aurait pas pu faire une politique très différente que celle que fera Macron. Il suffit de jeter un oeil un minimum attentif à la section "Europe" de son programme pour s'en rendre compte. C'est un sujet que nous avons déjà abordé dans cet article. Le reste de cette partie du programme est assez ambigu. Il contient deux points.
    -Le point 69 intitulé : "Utiliser tous les moyens face aux institutions européennes".
    -Et le point 70 : "Désobéir à chaque fois que c'est nécessaire pour mettre en oeuvre notre programme".
    On s'attendrait à ce que le premier point détaille le plan A et le second détaille le plan B, mais il n'en est rien. Le point 69 ne mentionne pas du tout la manière dont Mélenchon entend "négocier un nouveau texte", il consiste en une liste de 4 points qui n'ont absolument rien à voir les uns avec les autres. Pourquoi est-il si désinvolte en écrivant cette partie, surtout s'il admet lui-même que certaines règles européennes sont aujourd'hui "incompatibles" avec la mise en oeuvre de son plan ?
    Mélenchon ne connaît-il pas les moyens de pression attribués à l'UE pour obliger les États à se conformer et les maintenir au sein de l'UE sans hésitation ? L'expérience passée de l'UE suggère que pour que son plan réussisse, Mélenchon doit menacer de quitter le bloc. Or même une telle menace pourrait ne pas être suffisante, étant donné le large écart entre ses plans et la libre circulation des routes européennes pour les marchandises, les capitaux, les personnes et des services. Même en supposant que Mélenchon croit vraiment qu'il peut désobéir et que l'UE le laisserait partir sans crainte s'il essayait de le faire, il serait contraint d'abandonner l'idée. Décidera-t-il de quitter l'UE ? Bien sûr que non. Il serait donc contraint de s'y conformer, et donc de mener des politiques qui ne sont pas différentes de celles que Macron appliquera... Une fois cela compris, il devient naturel de voter pour son candidat de coeur, plutôt que de voter utile. Plus ces candidats ont des votes, plus l'information est forte.



En conclusion, je dirais que la gauche est tellement fracturée et pétrie d'égos surdimensionnés qu'espérer que Nupes aurait pu tenir sur le long terme relève de l'utopie. Même sans Mélenchon la gauche est irréconciliable. C'est un facteur aggravant que les militants refuseront d'admettre contre leur propre intérêt. Ils préféreront continuer à rêver naïvement d'une victoire aux présidentielles et qu'un miracle opère à l'assemblée. Le fait est que même si Mélenchon se retrouvait face à un candidat de droite au second tour, je suis persuadé que des électeurs qui étaient traditionnellement "à gauche" pourraient élire son adversaire. Des coalitions hétérogènes ne peuvent fonctionner durablement entre des minorités que tout oppose.


23 juin 2022




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